Pour le formuler crûment : l’art possède la vérité mais il ne le sait pas ; l’interprétation (c’est-à-dire la philosophie) sait la vérité de l’art mais elle ne la possède pas. Un tel dualisme, qui repose légitimement sur une conception restrictive de la connaissance comme travail de la pure rationalité, ressemble fort cependant à une stratégie d’infantilisation de l’œuvre d’art, au sens propre : infans, l’œuvre ne saurait pas parler et ce serait le rôle de l’analyse que de parler à sa place.
On peut envisager exactement le contraire : que l’œuvre dit toujours beaucoup plus que ce que nous entendons, en particulier parce que nous n’avons pas appris encore son langage à elle. N’est-il pas plus riche de penser que le commentaire n’a pas besoin de se prévaloir de la mutité ou du balbutiement de l’œuvre ? Il se légitimera tout autant d’en traduire correctement quelques phrases, pour filer cette métaphore langagière. Une formule provocante de Jean-Luc Godard possède une grande force programmatique : « les films n’ont pas été vus ». Certes, dans l’immédiateté de leur naissance, les films radicaux ne possèdent aucune surface de visibilité, sauf à provoquer délibérément le scandale comme dans la grande tradition des avant-gardes (de type surréaliste ou lettriste). Mais plus généralement, les films quels qu’ils soient, y compris les plus froidement industriels, se voient souvent rabattus sur leurs schémas scénaristiques, sur leurs déterminations matérielles, sur leurs conditions de recevabilité. Ce qui se perd constitue l’un des enjeux les plus dynamiques de la réflexion sur les films : saisir la puissance de déplacement, le potentiel critique des images.
Nicole Brenez in La Critique comme concept, exigence et praxis
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